mardi 3 février 2015

Le chien à l'attache

C'est l'histoire d'un chien qui, abandonné sur le bord de la route, pense à ce qu'il a perdu et à la place que cela lui laisse pour aller quérir autre chose.

-Oh mon maître, je te remercie de ne pas m'avoir gardé par pitié.

Toi grâce à qui j'ai connu les longs jours solitaires passés dans l'impatience de ton retour, les retrouvailles quotidiennes et toujours décevantes - oh mon maître, je haïssais si souvent ces conversations du soir, où je forçais mes traits dans l'espoir d'un su-sucre de ta part. Disais-je, aussi loin que je me souvienne je n'ai jamais rien connu de plus agréable. L'attente tout le jour, ponctuellement des réconforts le soir, et l'amertume durant la nuit, je crois que cette amplitude me plaisait, et à jamais je te serai reconnaissant de m'en avoir ouvert l'accès.
Oh, les longs jours solitaires, Dieu sait que je les connaissais avant, mon cher maître, mais alors je n'attendais rien, et n'avais jamais ni joie ni désappointement. J'avais toujours été seul et triste, et il m'a fallu ne plus l'être au moins une fois pour m'en rendre compte. Pour cela aussi, je te remercie.
Oh mon maître, rassure-toi, ce n'est pas toi qui m'as attaché, ce n'est pas toi qui m'as abandonné. Moi seul me suis abandonné à toi - avant de me laisser seul ici. L'attache ? Je t'ai demandé cette faveur, tu ne me l'as pas accordée, alors j'ai fait le nœud moi-même.


-Ronge tes liens et avance.


-Je ne veux plus te retrouver, mon maître, mais ne m'en veux pas - au-delà, ne t'en veux pas. Ronger mes liens ? Si seulement j'en étais capable, je rongerais la patte même qui me retient au piquet, je mordrais de mes dents ma chair (que je maudis), comprimerais à l'en rompre l'articulation jusqu'au craquement libérateur. Oserais-je, mon maître ? J'ai tenté une fois et en ai ressenti une grande honte. Tant de moyens de ne pas te faire honneur, mon maître. Je ne me permettrai plus.


-Ronge tes liens et avance, andouille.


-Je mets mes crocs à ton seul service, mon maître, car je mordrai les passants à l'endroit où je me suis laissé. Je les mettrai à terre en leur brisant la jambe, et je disposerai d'eux pour tout usage. Car garde ceci à l'esprit, je suis un stupide personnage, un idiot qui t'aimait et dont le plus grand trait de sagesse fut de se laisser éloigner de toi.
Je resterai un temps au bout de cette laisse à manger, à petites gorgées, de la chair d'inconnu - je la mangerai pour te faire honneur, toi qui fus mon maître, un honneur ponctuel et sincère de la sorte que je me suis vu offert en ta compagnie.

Et un jour j'aurai maigri assez pour me défaire sereinement de cette attache.

dimanche 1 février 2015

Gaze

C'est un souvenir que j'ai gardé d'une expérience récente et assez honteuse. Avant que j'applique la colle, le sang sur la gaze dessinait des motifs qui rappelaient un test de Rorschach, ce qui m'avait semblé pour le coup assez lourd de sens, sachant dans quelles circonstances j'ai été amené à utiliser ce pansement. L'excès fortuit d'humidité a foutu en l'air ce qui aurait pu être un carré de carton vraiment artsy.