mardi 4 février 2014

Les tendances: la subdivision

Aujourd'hui: Épistémologie.



Ce n'est pas une question particulièrement évidente de prime abord: pourquoi classer le vivant? Ou autre chose, mais le vivant est un sujet que je connais.

De fait, cette question ne se pose pas. Personne ne se demande pourquoi la tomate est un fruit et non un légume, pourquoi les poissons, les reptiles et les polychètes n'existent plus: il ne s'agit pas de comprendre pourquoi, il faut le savoir et rien d'autre; c'est un dogme.
C'est que classer est une tendance naturelle et irrépressible de l'esprit, tout comme l'illusion du temps ou, dans une moindre mesure, la foi (foi en diverses choses diversement divines). On classe parce qu'il le faut. À ce sujet le prétexte le plus solide est l'organisation du savoir, qui permet un meilleur apprentissage: un arachnologue britannique utilisait à cet effet l'image d'une quincaillerie où les vis étaient classées en plates et rondes, puis en simples et cruciformes, puis en tailles. Je cherche une vis plate cruciforme de 22 mm: je vais au rayon des vis plates, à l'étagère des cruciformes, où elles seront probablement classées par ordre de taille.

En revanche, pourquoi faut-il qu'une seule de ces classifications s'impose en dogme et fasse passer toutes les autres pour des billevesées, je ne me l'explique pas. Pourquoi la tomate (je me répète) ne peut-elle être considérée comme légume dans son contexte culinaire. Peut-être, avançai-je avec mépris, que ces gens ne peuvent accepter que plusieurs classifications existent, chacune ayant son utilité. Parce que c'est bien utile de savoir que la tomate dans les cuisines occidentales se mange salée et plus souvent cuite.

Le cas des classifications dites scientifiques est plus complexe. Linné a été plus ou moins viré des délibérations, et on lui préfère désormais la classification phylogénétique du vivant née des théories de l'évolution: un groupe monophylétique, ou clade, ne peut se définir que par ce qu'il possède (caractères homologues à l'état dérivé, ou synapomorphies), et non par ce qu'il n'a pas. Ce qui explique que les reptiles et les poissons ne soient plus. Reptiles: sauropsides dépourvus de plumes (tous sauf les oiseaux); poissons: vertébrés dépourvus de membre charnu (tous sauf les dipneustes, coelacanthes, et les vertébrés dits "supérieurs" à partir des amphibiens). Ces deux groupes sont des grades, définis par une absence. Bien qu'en désaccord avec la nomenclature actuelle, ils sont loin d'être foncièrement impertinents. D'autres systèmes, comme les clés dichotomiques, ont l'intérêt de mettre la détermination d'une espèce à la portée de n'importe quel crétin d'étudiant comme moi tout en étant pour bonne partie phylogénétiquement fausses. De sorte que cela a tendance à choquer le profane lorsqu'elles touchent un domaine très général. Foncièrement fausses, certes, mais très pratiques.
La fausseté biologique de ce mode de classement (et non de la démarche) apparaît beaucoup plus floue dans les clés professionnelles.


La phylogénie moléculaire induit des classifications dans l'idéal dichotomiques, chaque clade ne comportant que deux sous-clades. Les tridents et autres râteaux sont bannis: un noeud représentant la subdivision d'une lignée en plusieurs, il est plus qu'improbable qu'un seul ancêtre donne au même instant t plus de deux descendants. C'est clair et pertinent.
http://tolweb.org/Terrestrial_Vertebrates/14952


En revanche, c'est rien moins que pratique. La multiplication des termes, tant pour les clades en eux-mêmes que pour les niveaux de classification, est démentielle. Linné avait défini sept niveaux en tout: règne, embranchement, classe, ordre, famille, genre et espèce; l'évolution aidant, on y ajouta les empires, tribus et sous-tribus, sous-classes, infra-classes, super-ordres, sections et tant d'autres. Par ce subterfuge, ceux qui se raccrochent à l'ancien système parviendraient facilement à une cinquantaine de niveaux; mais beaucoup de phylogénistes ne s'en donnent même plus la peine, le simple terme "clade" les recouvrant tous d'un coup.

Il en résulte que bien qu'étant la seule classification biologiquement pertinente et la seule enseignée en détail, la classification phylogénétique du vivant est la moins utilisée sur le terrain et probablement, de fait, la moins utile dans quelque domaine que ce soit.

Une phylogénie n'est en soi pas une classification, mais une étude des relations de parenté: il m'est donc avis qu'elle se suffit largement à elle-même, inutile d'en faire un système de boîtes (puisque d'autres systèmes existent au préalable et que leur confort d'utilisation n'est plus à démontrer).
En la considérant (bien que ce soit quelque peu inexact) comme un arbre généalogique, faisons une simple comparaison: peut-on classer nos ancêtres?
...On me rétorquera bien sûr que certains passionnés par le sujet distinguent facilement chez les leurs une branche flamande et une branche ouzbek... Et tout tombe à plat.



Source majeure: http://tolweb.org/tree/phylogeny.html
Un site que je pourrais appeler la Bible ou plus simplement Dieu.