dimanche 30 décembre 2012

Une histoire du Moyen-Âge - Chapitre III

Revoici, après une assez longue absence, l'épouvantable feuilleton qui constitue un certain volume dans ce blog. Nous avons dressé l'état des forces et éclairé les causes de ce qu'on appellera Guerre de la lande Rugueuse. Il est temps de passer aux choses sérieuses: des gens qui se confrontent en costumes de chevaliers.

A tort ou à raison, les gouvernants du Fondor, confiants en leurs qualités de chefs de tous les ohms, garants de la paix, avaient pourtant cru bon de découper géométriquement les terres en quadrats faciles à défendre, lesquels s'assemblaient élégamment en divers polygones esthétiquement très réussis.On sentait là l'influence des Pseudo-Doks de Serve, seuls vrais grands dominateurs du Protomart depuis pas moins de sept siècles, et qui avaient imposé des frontières orthogonales aussi loin que portait leur regard, appliquant au besoin des "fusions dominatives" là où les royaumes étaient les plus nombreux et les plus insoumis (à ce titre, ils soutenaient le maintien des Etats du Nord du Fondor sous l'appellation unique de Clans Barbares). Tous deux éprouvaient un grand amour pour les cartes sous toutes leurs formes, et cherchaient toujours à y percevoir un ordre (divin ou autre).
Bref, l'un de ces grands quadrats, qui recouvrait grossièrement la région appelée aujourd'hui Lande Rugueuse, intéressait spécialement Theodor Elidine et ses guerriers. Les seigneurs de Phabellïn et l'impératrice Larve VII, dans leur grande prévoyance et croyant bien faire, avaient disposé autour de ces lieux presque vides, pour en faire un désert inexpugnable, un chapelet de villages de pionniers chacun conçu comme un fortin. Cette chaîne, donc, limitée par les villes de Russigrol, Sictarie et Bonbonnes, et qu'on prit plus tard à appeler Triangle de Sictarie (influence ELFique?), était tout ce que le grand stratège attendait.
Rappelons-le, il se proposait alors, non de conquérir, brûler et soumettre, mais d'attirer à lui l'armée ennemie pour la défaire et forcer l'impératrice à capituler; et il avait là tout ce qui lui fallait: de l'espace pour les manoeuvres que lui et ses acolytes affectionnaient tant; pour le ravitaillement, les terres agricoles limitrophes; et si l'armée impériale tardait à se manifester, il avait sous la main tout un lot de villages à saccager pour la forcer à réagir, villages dont les fossés, les pieux et les murs ne l'impressionnaient pas le moins du monde, servant uniquement à montrer à tous combien il était efficace.
Or donc il vint, ayant débarqué, en longeant les côtes alors désertes, et apercevant au loin sur la berge une ligne sombre semblable à une ville, déclara nonchalamment à son état-major:
"Nous commencerons par là. Nous avons de bonnes chances de vaincre."
La ville s'appelait Bonbonnes, port moyen qui limitait au Sud le triangle de Sictarie, et avait été placée, la guerre ayant été déclarée, sous l'autorité du seigneur Cladode, noble formé en général, et qui commandait à une petite garnison. Il comptait toutefois sur un épais tissu de murailles croisées, doublées et consolidées tant de fois que les limites du port semblaient être autant de cellules clairement délimitées. Aussi, voyant poindre la longue colonne, héla-t-il la foule par des propos de ce type:
"Nous les repousserons. Nous avons de bonnes chances de vaincre."
Bien joli siège que ce fut: on monta béliers, trébuchets et balistes avec grand soin, et quelques courageux Orquaksiens furent commis d'office pour saper les murailles alors même que chacun croyait que les choses se concentraient en surface. Hors cette action souterraine, le combat fut bel et noble (si tant est qu'un combat puisse être bel et noble): chacun s'efforçait d'attaquer avec rage pour ne pas laisser supposer le coup tordu des sapeurs, et chacun le faisait très bien; même, au soir, les béliers étaient arrivés au pied des portes et martelaient avec insistance comme l'huissier à la porte du pauvre.
Méthode Orquaksienne de sape: on accède aux fondations par une galerie, puis on les évide. Le mur, fortement fragilisé, peut alors être abattu à coups de bélier.
On notera les murailles creuses emplies de terre. Ce n'était pas qu'une mesure d'économie: un mur plein aurait permis aux béliers de causer des dégâts incalculables dans toute la maçonnerie, là où la couche de terre vient faire office de tampon et absorbe les vibrations. D'un autre côté, c'était aussi du pain béni pour les audacieux sapeurs...
Les Fondoriens de la garnison, de leur côté, n'étaient pas en reste, quoiqu'on vît Cladode, plus tard dans le siège alors que tout était perdu, asséner aux hommes d'armes diverses insultes tonifiantes bien que foncièrement incorrectes. Tirant parti des ruelles étroites, ils s'étaient munis de grands mantelets derrière lesquels ils trouvaient abri. De l'arrière, des commis préparaient et lançaient des bouteilles de liqueur de mauvaise cuvée qui, munies d'une mèche, s'enflammaient à l'impact. De cette façon, partout où la piétaille ennemie envisageait de pénétrer dans la ville, l'arrêt était net et douloureux.
Pour autant, la résistance fut de courte durée. On n'annonçait pas de renforts, pas même pour ultérieurement; la gnôle inflammable et parfumée manquait un peu partout; les sapeurs avaient fait crouler des pans entiers de murailles par leur patiente besogne; et la ville fut prise avant que personne commence à souffrir de la faim: un modèle de siège réussi. Pour cela, Elidine fut très vite acclamé par tous, et Cladode traité partout d'incapable, ce qu'il était probablement.
Ainsi donc, en quelques jours à peine, Elidine était installé et bien en place, les  ennemis craignaient terriblement. Mais, par crainte ou par mollesse, l'armée impériale tardait à se manifester.
A suivre.
 
Et n'oubliez pas de me laisser vos impressions, je ne voudrais pas vous imposer quelque chose d'aussi volumineux alors que ça ennuie tout le monde! Ca vaut aussi pour ceux que je connais personnellement.

lundi 24 décembre 2012

Caçador

introspection illustrée, n°1

Tout romantique que j'étais, je me suis souvent rêvé en vert chasseur empanaché, fier guerreiro de montagne, indépendant et solitaire, guettant au coin d'un chemin escarpé la colonne ennemie; baroudeur de préférence sans aucun idéal. J'empoignais fermement les armes des aïeux, dont les silex jetaient encore des étoiles, et, ma foi, on se sentait heureux auprès de ces doudoux... Juste un peu honteux.
Ha! On est fier, le sabre de l'arrière-arrière-arrière-grand-papa-qui-a-fait-la-guerre-de-Crimée chaudement serré dans la paume! Mais aller tuer pour s'accomplir... Toute la joie du guerrier, c'est son habit, sa virilité; combattre justifie qu'il le porte, et il aimerait s'en passer. Il se rêve donc, admiré; il contemple les draps fins et les fils d'argent dont il se pare, et aime être impressionnant; mais le voilà bien bestial, sitôt qu'on lui demande d'être ce qu'il prétend, qui court, des balles sifflant dans son dos, mettre à l'abri sa raison d'être...

Qui est avec moi? Personne, je l'espère.

 
Joyeux noël à mes quelques lecteurs ainsi qu'aux voyageurs de passage sur cette page (et tant pis pour les autres).

jeudi 20 décembre 2012

Sciences Abjectes (3)

Dans le cadre des révisions sur le cours de botanique:

LA VÉRITÉ SUR LA GUERRE DES LÉGUMES

Hm, hm... Introduction. Le truc a été réalisé, vous vous en êtes rendus compte, sur Flipnote Studio (que je recommande à tous, y a pas d'âge pour ça), sur une musique de Brian Eno qui n'a malheureusement pas survécu à la retranscription (la chanson, pas le chanteur! Quoique...). Chez moi, c'est un peu lent sur la fin. J'espère que vous n'aurez pas ce problème. 
Les chansons de langue anglaise font toujours très chic en toutes circonstances, c'est pour ça que la publicité moderne en use et en abuse.
Aujourd'hui que je m'encroûte, je vais vous livrer certains pans de science qui n'ont presque rien d'abject. Croyez bien que je suis le premier à le déplorer. J'écris cet article juste parce que ce sujet m'irrite douloureusement.

Combien de fois, au cours de ces passionnantes discussions sur la bouffe, tous assis autour d'un tas de bouffe, n'a-t-on entendu une voix, modestement triomphante, s'élever pour dire une vacuité de ce type: "Nan, la tomate n'est pas un légume, c'est un fruit!"
Aaaaaaarghhhh! XD XO KGB <°()))))>< La prochaine fois que j'entends quelqu'un prononcer ces mots, je vous jure que j'appuie sur le bouton!
Voyez, c'est le genre de sujet qui me fait perdre mon flegme hautain au point que je glisse dans une stylistique sauvage avec langage outrancier et -horreur!- smileys.
Soyons clairs: la tomate est bel et bien un légume, et n'a pas à en rougir (hin hin. Y a que moi que ça fait rire?). Et si vous tenez absolument à la considérer comme un fruit, alors la courgette, le poivron, les haricots verts et j'en passe, en sont également; en revanche, la fraise n'en est plus un.
Je m'explique. Il faut en fait faire la distinction entre vocabulaire culinaire qu'on devrait tous utiliser couramment au lieu de faire des exceptions idiotes comme avec la tomate, et vocabulaire botanique qui permet de ramener sa fraise comme je le fais présentement (hin hin. ...ce silence me pèse).

I- Sur le délicieux vocabulaire des cuisines et ménages
Au sens du cuistot, fièrement campé derrière ses moustaches en vrille à l'ombre d'une grande et glorieuse toque blanche, un légume représente tout organe végétal charnu et comestible se mangeant en préparation salée, servie  en entrée ou plat de résistance, desquels on exclut les tubercules tels qu'ignames et patates, qui de par leur composition entrent parmi les féculents, aliments végétaux riches en amidon.
Au sens du cuistot, fièrement campé derrière sa toque en vrille à l'ombre d'une grande et glorieuse moustache blanche, un fruit représente tout organe végétal charnu et comestible se mangeant tel quel ou en préparation sucrée, servi en dessert ou pour le goûter de son neveu scout de haute montagne. Cela recouvre une bonne partie des fruits au sens botanique, comme nous allons le voir.

II- Sur l'obscur vocabulaire de grands maîtres de la botanique, style Mendelphilippe
Au sens du botaniste poussiéreux et chauve, le mot légume n'a pas de valeur. Qu'on se le dise au fond des potagers: c'est là la clé de cette détestable et sophiste confusion qui m'agace tant. Mais voyons la suite...
Au sens du botaniste poussiéreux et chauve, un fruit représente tout réceptacle, charnu ou non, renfermant les graines, issu de la transformation du pistil à l'issue de la fécondation. Le fruit est le propre des Angiospermes, ou plantes à fleurs (par opposition, les "pommes de pin" des Gymnospermes n'ont pas valeur de fruits). Ceci implique que tous ces "légumes" courants: potiron, courgette, aubergine... et, donc, la tomate, soient des fruits pour M. Mendelphilippe.
Qu'on reconnaisse que la tomate est un fruit, d'accord, mais pourquoi laisser de côté les autres? Ce sophisme d'ignorants va faire des jaloux parmi les piments, qui sont d'ailleurs déjà sur le pied de guerre.


Les voilà, imbéciles, partis en combattants...
Illustration Xiyuè pour Tripoda (ça lui fera de la pub).
Le champignon n'est pas le "fruit" du champignon, bien qu'on puisse l'y assimiler. C'est juste une image (contre laquelle, somme toute, je n'ai rien) pour faire comprendre les choses aux enfants comme vous et moi.
Rappelons au passage que, s'il est bien reconnu par l'opinion que les champignons ne sont pas des plantes, il ne sont pas pour autant, comme on le lit parfois dans la presse, des animaux (les journalistes pseudo-scientifiques jouent allègrement sur cette ambigüité): dans la phylogénie actuelle, ils sont simplement plus proches des animaux que des végétaux.


...eux aussi.
Illustration Tripoda pour Tripoda.
La fraise, on y vient, n'a rien d'un fruit. Le syndicat des fraises va sûrement me lyncher, et Jean-Pierre Coffe me bannir de l'Académie Française, mais bon, tant pis, je la dénonce: si elle était un fruit comme elle le prétend, ses graines seraient situées à l'intérieur de ses tissus! L'orgueilleuse infrutescence n'est pas issue du pistil, mais de tissus sous-jacents. Et une réputation de défaite, une!
Tant qu'on y est, j'ajouterai que l'ananas est lui aussi plutôt suspect... Vous en connaissez beaucoup, vous, des fruits avec des feuilles par-dessus? Et il y a certainement un paquet d'autres personnes qui ont le culot de se faire passer pour des fruits. Vous me les trouvez tous pour jeudi.

Terminons, à titre d'exemple, par un bref survol des légumes courants et leurs correspondances botaniques:
-La carotte et la rave sont des racines pivotantes, ça n'aura échappé à personne.
-La cartoufle, ou pomme de terre, est un tubercule, organe renflé riche en amylenchyme; mais ce tubercule-ci, contrairement à une idée largement répandue, n'est pas une racine mais une tige souterraine. Ceci explique qu'elle puisse germer, en effet une racine ne porte jamais de bourgeons.
-L'oignon est un bulbe, c'est-à-dire un ensemble de feuilles charnues disposées sur une tige en plateau.
-L'asperge et le céleri branche sont des tiges.
-Le chou de Bruxelles est un bourgeon. Pas de piège de ce côté-là.
-Le chou-fleur et l'artichaut sont des fleurs. Je crois que le monde végétal est en panne de sournoiseries.
-Ah si, une dernière: le fenouil est une gaine. Une gaine, c'est-à-dire la base d'une feuille qui embrasse tendrement la tige.

Je cite ces exemples de mémoire et ma définition du fruit est, elle aussi, improvisée. Il me semble respecter grossièrement la réalité botanique des fruits, mais si un vert gaillard pur et dur, tout plein d'un fier collenchyme, s'avisait de passer par cette page, je ne donne pas cher de mon tégument de pauvre hétérotrophe...

Voilà! J'espère vous avoir édifiés autant que divertis. La prochaine fois, je promets de ne rien vous apprendre et de ne dire que des bêtises, comme d'habitude.
Sur ce, les enfants, joyeuse fin du monde! Je me retire dans mon bon coeur. On se retrouve après.

mercredi 12 décembre 2012

L'idée et l'acte

Une femme parle de ses clients. La concernant, quel est le premier métier qui vous vient à l'esprit?
Mais non, je n'accuse personne. Il n'y a d'ailleurs là rien de mauvais ni même de sexiste: tant que l'idée n'a pas quitté en acte l'intimité de l'esprit, elle est par essence innocente, puisqu'incapable de produire le mal. Ce fait élémentaire (et qui semble pourtant échapper à la majeure partie de l'humanité) explique entre autres qu'on puisse sans reproche avoir les fantasmes qu'on veut. En parler ou les accomplir, j'en conviens, c'est autre chose.

jeudi 6 décembre 2012

Une histoire du Moyen-Âge - Chapitre II

On devrait revenir aux choses sérieuses, maintenant. Reprenons donc le fil de notre historiette infrivole, si vous le voulez bien (et vous n'avez pas le choix).

Le trésor de guerre épuisé, le Fondor se fait copieusement gueuler dessus par tous les royaumes auxquels il accordait une part. L'un d'eux prend plus que les autres le problème au sérieux: la guerre est déclarée. Les souverains des deux bords, ravis de n'avoir rien fait pour l'éviter, s'assoient et attendent.

Le Fondor d'alors était un empire disparate, aussi rempli de vide que de méats, et les provinces, loin de toute autorité, vivaient jalousement pour elles-mêmes; vaguement rappelées à l'ordre sitôt qu'elles recevaient la part de trésor qu'une inaction ingrate leur aurait retirée. L'armée, donc, prit son temps pour se rassembler, les estafettes migrant tranquillement vers les différents fiefs tels que Soumonie, Marégie, Nolle, Plonase, Koplonn, Chrisotoline et j'en passe. Vous pouvez les voir sur cette carte moderne (à l'époque l'empire était uni).


Carte moderne et artisanale du Fondor, où vous pouvez voir les clivages actuels (dont vous n'aurez ici strictement rien à faire). Je conviendrai que c'est assez peu lisible. Pour les durs du globe oculaire, je préciserai (en prévision de la suite):
-la péninsule marquée 4 à l'ouest du golfe aux côtes déchiquetées est la Crochie, capitale Bolbic;
-le pays marqué 23 tout à l'est et contre la frontière est la Principauté Pouvikienne, capitale Gormoth-Pouvik.
Dans le même temps, l'adversaire, puissamment fédéré, avait déjà mis à flot une pléthorique flotte de caravelles qui transportait une armée nombreuse et disciplinée, avec sa piétaille permanente, qui constituait le gros des forces, une cavalerie lourde composée de nobles et de notables, ainsi que l'infanterie d'élite dite Double-Solde (Dopfhmilt) et un corps de charpentiers en charge de la confection des équipements de siège. Les provinces reculées fournissaient également certaines troupes spéciales, telles les archers à cheval de Fiacse, les Espadons maniant de grandes épées, ou encore les Hussards. Les cavaliers, dans l'ensemble, restaient rares, car les chevaux, aux intestins si délicats et légèrement frileux, supportaient mal les voyages en mer.
Tout ce beau monde, placé sous le commandement du maréchal Elidine, assisté d'un certain Duc des Chênaies, ne pensait évidemment pas conquérir dans son entièreté un  empire aussi vaste que le Fondor, mais écraser l'armée ennemie pour faire pression sur le pouvoir. C'est ainsi qu'on s'arrange en général pour conclure les choses très vite, mais il est des cas où cette stratégie est dépassée: c'en fut un, et, on le verra, ça s'éternisa douloureusement dans la boue et la neige.
Il y avait tout pour que ça dure, à dire vrai, car bien qu'il n'ait pu prendre l'initiative, le Fondor était parvenu, en raclant bien dans les coins, à réunir des effectifs quasi-identiques; encore que légèrement supérieurs: il avait pu en effet profiter de la vassalité de certains États septentrionaux sous serment pour augmenter un peu ses forces, et, dans certains cas, avec certaines des meilleures troupes du temps.
En vérité, ces Etats n'étaient alors plus que deux: la Crochie et Gormoth-Pouvik. Des autres, dissolus et refaits de nombreuses fois au gré de l'humeur des chefs, ne subsistait plus ce qu'on pourrait nommer, assez justement, "clans barbares". On en compte aujourd'hui une trentaine; on estime qu'alors ils étaient huit cents. Et, trop lointaines et trop petites, trop indisciplinées, et de toute façon ultérieures au serment, ces petites cités sans loi faisaient assez précisément ce que bon leur semblait (je leur en suis gré). Aussi, la Crochie et Gormoth-Pouvik, les seuls à être restés à peu près entiers au cours des six derniers siècles, essuyaient pour le Fondor leur suzerain les vagues successives de bandits prétentieux, maraudeurs et autres anarcho-syndicalistes qu'on leur envoyait régulièrement du Nord, et leurs soldats se trouvaient être particulièrement aguerris et expérimentés.
Gormoth-Pouvik, pour autant, ne put envoyer que des effectifs symboliques, car il régnait alors aux confins du Plukadrien-Apical une agitation qui, justement, tenait les Pouvikiens très occupés.
La Crochie, en revanche, disposait d'assez de troupes pour en céder en quantités importantes. L'estermaest en personne, Altrès-Beno Skerkop, fit le déplacement. L'estermaest, c'est-à-dire le bras droit du consul fondorien qui veillait sur la colonie, son conseiller personnel choisi parmi les autochtones, élevé et formé à la cour impériale, débarrassé de toute velléité de nationalisme et qui faisait aussi un bon chef de guerre, sa formation étant centrée sur ces points.
Outre une abondante piétaille, Skerkop avait l'honneur de commander personnellement les Compagnies Bolbiciennes, régiments d'infanterie lourde fonctionnant chacun comme une armée complète et indépendante; il emportait trois des cinq Compagnies dans ses bagages.Elles étaient héritières de l'antique tradition des Troupes d'Assaut Décomplexées, corps de presque-élite formant les seules troupes permanentes parmi les ohms du temps des Crabouliques.

Planche pédagogique de moi. Je sors le grand jeu pour vous inculquer ces trucs. Vous reconnaîtrez d'ailleurs votre serviteur, galvanisé dans un beau costume et bêtement viril (2ème en partant de la gauche).
C'est encore une fois illisible. Pour les sourds d'un oeil: effectif par compagnie: Corps de Bataillon: 100-200; Étendard: 1; Capitaine: 1; Écuyers: 200-400 (deux ou plus par membre du corps de bataillon); Auxiliaires à cheval: 15-20.
Tout l'art de commander les Compagnies consistait à les mener sans dommage jusqu'au coeur d'une mêlée sanglante (les écuyers étaient là pour couvrir leurs maîtres, c'est-à-dire en fait absorber les tirs) où, leur petite taille et leur lourde armure aidant, ils pouvaient commettre un véritable carnage sans trop subir de pertes en retour; ils s'avéraient très redoutables contre les vastes phalanges de piquiers, s'insérant sans mal entre les hampes d'où ils pouvaient atteindre leurs porteurs sans défense.
Skerkop, donc, vint aux côtés d'Autar pour le seconder; situation que l'un comme l'autre exécrait, ceci ne flattant l'orgueil ni de l'un ni de l'autre:
"Je n'ai pas à me voir flanqué d'un métèque idiot sous prétexte qu'il est estermaest."
"Je n'ai pas à me soumettre à n'importe quel crétin sous prétexte qu'il est maréchal."
Inféodé et assisté, de fait, ne purent se supporter longtemps, et très tôt une haine farouche les opposa, là où Elidine et le Duc affichaient une franche et réjouissante camaraderie: alors que les Orquaksiens débarquaient sur une grève sauvage, on savait déjà laquelle des deux armées maintiendrait front uni.
A suivre